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Les carnets de Radicale
23 mars 2011

Lavinia

lavinia_le_guin

Ursula K. Le Guin

L'atalante

Comme Hélène de Sparte j’ai causé une guerre. La sienne, ce fut en se laissant prendre par les hommes qui la voulaient ; la mienne, en refusant d’être donnée, d’être prise, en choisissant mon homme et mon destin. L’homme était illustre, le destin obscur : un bon équilibre.
Dans l’Énéide, Virgile ne la cite qu’une fois. Jamais il ne lui donne la parole. Prise dans les filets du poète qui n’écrira l’épopée des origines de Rome que des siècles plus tard et sans avoir le temps de l’achever avant sa mort, Lavinia transforme sa condition en destin. De ce qui sera écrit elle fait une vie de son choix.

          Plusieurs personnes m'ayant vanté les mérites d'Ursula K. Le Guin (notamment pour la saga Terremer), j'ai sauté sur l'occasion en voyant le partenariat avec les éditions Atalante sur Livraddict.
          Lavinia est une vraie  belle découverte, qui part de l'idée suivante : corriger l'oubli de Virgile dans l'Enéide, en donnant une voix, une histoire, une texture, une saveur au personnage de Lavinia, dernière femme du héros mythologique Enée, tout juste évoquée dans l'épopée du poète.

          Lavinia, c'est tout d'abord une histoire intéressante en elle-même, prenante, avec une héroïne bien campée, qui se tient la tête haute. L'univers est réaliste, bien documenté, avec force détails sur les coutumes et dieux latins de l'antiquité.

          Mais c'est aussi, et c'est ce que je retiendrai du livre, la possibilité d'un second degré de lecture : le point de départ du roman est extrêmement original dans la mesure où Lavinia reconnait sa non-existence réelle, ou plutot sa contingence, son statut de personnage de papier, tout en revendiquant sa réalité grâce au pouvoir créateur du poète. L'intrigue va même plus loin, puisque c'est le personnage de fiction qui donne corps en poète, en racontant sa rencontre avec Virgile alors qu'il est aux portes de la mort. A la manière de Tchouang-Tseu qui se demande s'il rêve qu'il est un papillon ou s'il est un papillon qui rêve qu'il est Tchouang-Tseu (ou comme dans les Fleurs bleues de Raymond Queneau), le lecteur se demande si c'est le poète qui rêve de son personnage, ou le personnage qui rêve de son créateur. Les rôles peuvent être inversés ici, Lavinia est tout à fait capable de donner chair à celui qui l'a inventée. J'ai adoré ce paradoxe, cette réflexion et cette mise en abime sur l'acte de création par l'écriture, avec le personnage et l'auteur qui se nourrissent l'un l'autre.

Mais que dois-je faire à présent ? J'ai perdu mon guide, mon Virgile. Il me faut continuer, parcourir seule tout ce qui reste après la fin, tout le reste du monde immense, confus, illisible.
Que reste-t-il après une mort ? Tout le reste. Le soleil qu'un homme a vu se lever se couche même s'il ne le voit pas. Une femme s'assoit pour tisser la pièce qu'une autre femme a laissée sur le métier.
J'ai trouvé mon chemin jusqu'ici bien que le poète ne m'ait pas indiqué le chemin. J'ai tout déduit sans me tromper grâce à ce qu'il a dit, aux indices qu'il m'a laissés. Je l'ai suivi jusqu'au centre du labyrinthe. A présent je dois seule trouver la sortie. Ce sera plus long, plus lent, à vivre, mais pas si long, je pense, à dire.

          Enfin, on trouve une belle réflexion sur la guerre tout au long du roman :
On dit que Mars absout le guerrier des crimes de guerre, mais ceux qui n'étaient pas guerriers, ceux pour qui on prétend se battre quand bien même ils n'ont jamais voulu la guerre, qui les absout, eux ?

          En résumé, alors que tout part d'une épopée, c'est un très beau texte qui prend les accents d'une tragédie antique, avec des thèmes similaires (accepter son destin, refuser ou obéir aux coutumes ancestrales, faire des choix face à un dilemme et en assumer les conséquences), un discours qui serait digne d'un monologue théatrale et surtout, une voix, une voix très forte, une voix magistrale, une voix qui porte, qui charrie un flot d'émotions, mélancolique, une voix qui donne définitivement vie à Lavinia et qui lui rend, enfin, justice.

Un grand merci aux éditions Atalante et à l'équipe de Livraddict pour l'organisation des partenariats.

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Commentaires
R
Je viendrai voir ton avis alors, Plumeline ;)
P
C'st par Phooka que j'ai dé couverte ce livre et son enthousiasme 'a poussé à me l'offrir !<br /> <br /> Ton article me fait penser que je ne vais pas regretter ce moment de lecture :)<br /> <br /> Merci pour ton billet agréable à lire.
R
Moi aussi ça m'a rappelé mes cours de latin Anasthassia !
A
J'ai déjà entendu son nom en cours de latin ^^ , dans une de ces parties "civilisation" que j'aime beaucoup :) Ce serait l'occasion d'approfondir le sujet ! Je le note !
R
Ichiruki le style est plutôt simple une fois que l'histoire est bien entamée, par contre au début il faut un peu s'accrocher, il y a beaucoup de références latines, pas forcément évident.
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