La Horde du Contrevent
Alain Damasio
Gallimard
Ils sont vingt-trois, ils forment la trente-quatrième Horde du Contrevent. Dans un monde balayé par les vents, ils ont été formés depuis l'enfance dans un seul but : parcourir le monde, de l'Aval vers l'Amont, à contre-courant face au vent, à travers la plaine, l'eau et les pics glacés, pour atteindre le mythique Extrême-Amont, la source de tous les vents. Ils sont scribe, cueilleur, aéromaître, guerrier, et forment une horde autonome et solidaire, qui avance dans un seul objectif, luttant constamment contre le vent.
La pagination est inversée, de la page 700 à la page 1.
Chaque paragraphe est introduit par un symbole (lettre grecque ou signe de ponctuation) qui représente le narrateur du texte qui suit.
Difficile de résumer le livre, difficile d'en faire la critique ! D'abord parce que sa lecture est une expérience qui ressemble à peu d'autres lectures. On met beaucoup de temps à lire les premières pages, car il faut retrouver dans la liste des symboles celui qui correspond au narrateur du paragraphe. Pour bien m'immerger dans l'univers du livre, j'ai pris le temps de mémoriser les symboles, les noms et la fonction des personnages. L'entrée dans le livre demande beaucoup d'attention car une partie du vocabulaire est inventée ou détournée pour créer tout un système de langage (et donc de pensée) autour du vent, qui régit la planète.
Au final, c'est assez inégal ; mais les passages prenants le sont tellement qu'ils font oublier les longueurs et les défauts du livre.
Dans les points que je n'ai pas aimés : certains passages qui traînent en longueur, des digressions de Caracole, le troubadour de la Horde, les dizaines de pages théoriques sur le "vif".
Par contre, dans ce que j'ai vraiment aimé : j'ai trouvé que l'idée (toute simple) de la pagination inversée était une trouvaille brillante, qui donne du relief à la quête, qui associe le lecteur à l'avancée de la Horde vers un seul but. La fin est extrêmement cohérente, en adéquation parfaite avec l'histoire.
Certains passages sont absolument palpitants, drôles, horrifiants, tétanisants... J'ai particulièrement apprécié le fait d'être confrontée dès le début de l'histoire à un furvent (sorte de tornade), la pudeur qui enveloppe certaines morts, qui ne sont pas surexploitées, la scène entre Golgoth et son père est mémorable, et la fin d'Erg avec une écriture en miroir m'a laissée le souffle coupé.
En résumé : il faut tout de même avoir un minimum de motivation pour se lancer dans ce roman, mais c'est vraiment une aventure à tenter si l'histoire vous fait envie : ça ne peut pas laisser indifférent !
Deux citations pour les indécis :
C'est l'heure où les têtes sont pleines de vent le cœur ne bat plus que pour le pas qui suit il est lavé de tout rêve de tout amour il n'en veut à personne n'espère ni n'attend rien il bat pour le sang le sang pour les muscles les muscles pour le pas et le pas pour le pas qui suit qui suivra les jambes charrient de la braise dans la pente les huit silhouettes ondoient la nuque courbée le front posé contre le feu du vent comme pour s'y appuyer y trouver une assise ou un repos.
Avant même de naître, je crois que nous marchions. Nous étions déjà
debout, la horde entière étalée en arc, déjà fermes sur nos fémurs et
nous avancions avec nos carcasses raclées et nos côtes nues, les rotules
rouillées de sable, à griffer le roc avec nos tarses. Nous avons marché
longtemps ainsi, tous ensemble, à chercher la première de toutes nos
prairies. Nous n'avons jamais eu de parents : c'est le vent qui nous a
faits. Nous sommes apparus doucement au milieu de la friche armée des
hauts plateaux, à grandes truellées de terre voltigée pris dans nos
ossements, par l'accumulation des copeaux de fleurs, dit-on aussi, sur
cette surface qui allait devenir notre peau. De cette terre sont faits
nos yeux et de coquelicots nos lèvres, nos chevelures se teintent de
l'orge cueilli tête nue et des graminées attirées par nos fronts.